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4 octobre 2006 3 04 /10 /octobre /2006 13:35
 
 
 
Jean-Paul SAGADOU
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
EMMANUEL MOUNIER
 
ET LA RENAISSANCE DE LA J.E.C
 
 
(Le Personnalisme au Service d’un Mouvement d’Action Catholique)
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Décembre 2002
 
 
 
 
 
 
 
AVANT-PROPOS
 
 
 
            Chercher à prendre en considération les liens qui unissent Emmanuel Mounier et la J.E.C est une véritable aventure. En juin 2000, j’ai soutenu au grand séminaire St Jean-Baptiste de Ouagadougou ( Burkina-Faso), un mémoire en théologie pastorale sur le renouveau de la J.E.C au Burkina Faso. Dans ce travail, j’entrevoyais la possibilité d’un renouveau de la J.E.C grâce au personnalisme communautaire d’Emmanuel Mounier. Mon objectif était, selon les mots du prophète Isaïe, d’élargir l’espace de la tente de la J.E.C (cf. Is 54,2) et penser le renouvellement de la J.E.C dans une perspective personnaliste et communautaire.
 
Dans le présent travail, je voudrais être plus précis sur les liens qui unissent et pourraient unir Emmanuel Mounier et la J.E.C. Mon souci reste le même : participer au rayonnement de ce mouvement d’action catholique en tentant de lui redonner un souffle nouveau pour un nouvel engagement dans le contexte africain.
 
 C’est depuis 1995 que je m’intéresse à l’œuvre d’Emmanuel Mounier [1].
Ce que je tente d’écrire ici portera donc le témoignage d’un engagement suffisamment affiché pour une pensée susceptible de secouer la torpeur et de bousculer la conscience tranquille de la jeunesse africaine. C’est une aventure difficile. J’ignore si le résultat final sera satisfaisant. J’accepte le risque au nom de ma passion pour une pensée ouverte et de mon attachement à un mouvement ouvert…
 
 
 
 
 
 
 
INTRODUCTION
 
 
            La Jeunesse Etudiante Catholique (J.E.C) cherche en Afrique, depuis quelques années de nouvelles orientations pour faire entendre ses valeurs. C’est un mouvement d’action catholique qui est riche d’une longue histoire. Sur le plan international, il existe depuis 70 ans. La J.E.C est fière de son histoire. Elle y trouve l’origine de son engagement et sa justification dans le temps. Aujourd’hui, elle doit s’interroger sur les principes qui sont au fondement de son action, c’est-à-dire, la source d’inspiration à partir de laquelle l’action peut être à nouveau impulsée. Il s’agit de se replonger au fond de ses racines, au commencement de la J.E.C, pour remonter le temps jusqu’à notre époque et voir les fils conducteurs de son histoire. Quels principes ont traversé le temps ? Sont-ils encore valables par rapport aux questions du présent ? Quelles perspectives ouvrent-ils ? Sont-ils assez forts pour insuffler une dynamique nouvelle et provoquer l’action ?
 
            Pour cela, la J.E.C doit s’engager dans une démarche d’anamnèse. L’anamnèse consiste à faire remonter à la surface les souvenirs. En prenant comme point de départ le présent, c’est-à-dire la présence au monde, le temps de l’initiative, l’agir ensemble, tout en gardant en tête les questions actuelles, celles du hic et nunc. Il n’est pas question de s’enfermer dans le passé. Celui-ci ne mérite vraiment attention que s’il ouvre vers l’avenir par le détour du présent. Le passé éclaire le présent et met en perspective le futur. Dans le passé, des idées ont germé et n’ont pas porté leurs fruits. Certaines d’entre elles, constituent les champs du possible, l’avenir et le devenir.
 
            Des questions peuvent guider : quels courants de pensée ont influencé la J.E.C ? Quels personnages ? Nous avons identifié le catholicisme social, le marxisme, puis des penseurs, philosophes comme théologiens, qui ont essayé de répondre aux angoisses de leur époque, aux problèmes des sociétés modernes, notamment à la déchristianisation. On peut citer quelques noms : Maurice Blondel, Jacques Maritain, Gabriel Marcel, Marie-Dominique Chenu, Henri De Lubac, Yves Congar, Emmanuel Mounier.
 
 
            Emmanuel Mounier qui nous intéresse d’une façon particulière ici, n’est pas bien connu. On peut même admettre que c’est un parfait inconnu pour beaucoup de nos contemporains. Son influence sur la J.E.C peut ne pas paraître explicite. Mais sa pensée qui se veut personnaliste et communautaire est une « pensée germinatrice », capable de proposer des perspectives, des méthodes et faire naître des exigences qui s’appliquent à des réalités variées.
 
Emmanuel Mounier (1905-1950) est né dans une famille modeste de Grenoble (en France). Catholique fervent, sa vie est marquée par une enfance solitaire et par des rencontres : Jacques Chevalier, bergsonien, professeur de philosophie à Grenoble ; le Père Pouget, lazariste à Paris, avec lequel il étudie les textes évangéliques ; Péguy à travers son œuvre, il lui consacre son premier ouvrage suite aux encouragements de Maritain ; l’influence de Nicolas Berdiaev et de Scheler ne sont pas à négliger. Mounier réussit à son agrégation de philosophie. Mais il se moque de la philosophie purement universitaire sans prise sur la vie. Cela l’amène à fonder la revue Esprit et à diriger un mouvement de pensée : le personnalisme.
 
Emmanuel Mounier et la renaissance de la J.E.C : ce serait plutôt une rencontre entre un homme, un penseur qui a essayé d’apporter une réponse au malaise culturel, au «désordre établi », à la crise de civilisation qu’il perçoit fortement dans les années 1930, et un mouvement né à la même époque et qui déclinait son identité sous plusieurs aspects : mouvement de jeunes, mouvement d’action, mouvement de transformation sociale, mouvement d’Education Populaire, mouvement d’Eglise et qui cherche aujourd’hui une certaine unité, une base sur laquelle s’appuyer. Que peuvent apporter Emmanuel Mounier et son personnalisme à la J.E.C africaine ? Quel héritage ce philosophe de l’engagement a-t-il laissé qui vaille la peine d’être assumé ?
 
            Nous allons remonter aux années 30 et reconsidérer le contexte général de surgissement de la J.E.C. Nous mettrons la J.E.C en rapport aux autres mouvements d’action catholique.   Ensuite nous nous référerons aux courants de pensée qui ont favorisé et influencé le développement de la J.E.C. Pour notre recherche actuelle, la pensée d’Emmanuel Mounier reste incontournable. Nous devons donc alors évoquer les aspects essentiels du personnalisme, pour ensuite parler de la rencontre de Mounier et de la J.E.C.
 
I. La J.E.C et le climat des années 30.
 
            Il est difficile de reconstituer, dans les limites de ce travail, tout l’espace socioculturel, politique et religieux des années 30. Or, selon Mgr Garonne, « tous les mouvements auront toujours intérêt à revenir à ces années 30 pour renouveler leur inspiration »[2]. Jean Louis Loubet Del Baye a fait heureusement un travail incontournable et très remarquable sur cette époque. Professeur de Science politique à l’Université des Sciences sociales et à l’Institut d’études politiques de Toulouse, J. L. Loubet del Baye a publié aux éditions du Seuil un livre qu’il a intitulé magnifiquement « les non-conformistes des années 30 : une tentative de renouvellement de la pensée politique française »3. A propos de cette époque il parle dans son livre de «l’esprit des années 30» pour montrer sa particularité et sa singularité au regard de l’ambiance générale qui régnait tant sur le plan politique, littéraire, philosophique, économique que religieux.
 
1)         Sur le plan politique.
 
Ce sont des années où on se rend compte qu’une page de l’histoire est en train de tourner avec la guerre de 14-18 et les conséquences qui en suivirent. Les nationalismes égoïstes naissent en Italie et en Allemagne. La jeunesse se sent désorientée au cœur du fascisme et du nazisme. Paul Valéry écrit en 1932 :
 
« Ce que nous avons crée nous entraîne où nous ne savons pas, où nous ne voulons pas aller (…) Nous sommes aveugles, impuissants, tout armés de connaissance et chargé de pouvoirs dans un monde que nous avons équipé et organisé et dont nous redoutons à présent la complexité inextricable. Nous ne savons que penser des changements prodigieux qui se déclarent autour de nous et même en nous … Le monde n’a jamais moins su où il allait… »4.
 
Ce trouble trouva un écho immédiatement perceptible dans la vie littéraire.
 
 
2)         Sur le plan littéraire.
 
            Les années 30 furent pour la vie littéraire des années charnières caractérisées par le déclin de la littérature de dilettantisme et de divertissement qui avait triomphé au cours de l’après- guerre au profit d’une littérature de témoignage. L’inquiétude et la fièvre des années 30 provoquèrent une concentration de l’esprit sur l’histoire, une réflexion tournée vers le concret et le social, une pensée plus objective et plus grave. L’œuvre de Charles Péguy trouve une audience inattendue. Bernanos, Malraux, Saint Exupéry : tels furent les noms qui, dans les années 32-33, se mirent à briller au firmament des lettres françaises, symbolisant l’apparition d’un « esprit sérieux » qui contrastait avec l’étincelante désinvolture qui avait caractérisé la précédente décennie. Evoquant l’année 1932 qui vit la naissance d’Esprit, Mounier écrira :
 
« Une époque s’achevait : l’époque éblouissante de l’efflorescence littéraire de l’après-guerre : Gide, Montherlant, Proust, Cocteau, le surréalisme, ce feu d’artifice retombait sur lui-même. Il avait exprimé son époque avec un merveilleux jaillissement. Il n’avait pas apporté à l’homme la lumière d’un destin nouveau. La déception que laissaient ces guides sans étoiles, orchestrée par de lointains craquements à Wall Street, amenait leurs successeurs à réfléchir sur les destins d’une civilisation qui semblait encore capable d’éclat mais au prix d’une sorte de dépérissement profond. La génération des années 30 allait être une génération sérieuse, grave, occupée de problèmes, inquiète d’avenir. La littérature dans ce qu’elle a de plus gratuit avait dominé la première. La seconde devait se donner plus intimement aux recherches spirituelles, philosophiques et politiques. »5
 
3)         Sur le plan philosophique.
 
            Sur le plan philosophique, les années 30 virent s’étendre l’influence d’un courant de pensée promis à une grande célébrité après la Seconde Guerre mondiale, celui de l’existentialisme. Le grand maître s’appelle Husserl. Il fonde l’école phénoménologique. Les disciples s’appellent Heidegger, Scheler, Jaspers, Lavelle, Le Senne, Berdiaev, Chestov, Gabriel Marcel etc.
4)         Sur le plan religieux.
 
            Au point de vue religieux, les années 30 furent aussi des années tournantes. Pour l’Eglise catholique, elles furent marquées par un profond renouvellement de sa vie intérieure. Les problèmes économiques et sociaux prirent aussi dans ces années une place grandissante dans les préoccupations du monde catholique alors que l’engagement social avait été jusque-là le fait d’une minorité. De cette période date l’essor des mouvements d’Action catholique spécialisés avec le développement de la Jeunesse Etudiante Ouvrière (J.O.C) créée en 1926, avec la fondation de la Jeunesse Agricole Chrétienne (J.A.C) en 1929, de la Jeunesse Etudiante Chrétienne (J.E.C) en 1930, de la Jeunesse Maritime Chrétienne (J.M.C) en 1932, de la Jeunesse Indépendante Chrétienne (J.I.C) en 1936. L’action de ces mouvements de laïcs fut favorisée par un effort correspondant de réflexion théologique et par l’influence croissante exercée par les intellectuels catholiques, notamment par les universitaires, sur de nombreux catholiques « engagés » et sur le jeune clergé au moyen d’articles de revue, de conférences ou de réunions au sein de groupements divers. Dans la naissance de la J.E.C., l’A.C.J.F et la J.O.C vont jouer un rôle déterminant.
 
II. La J.E.C et les autres mouvements.
 
La J.E.C (Jeunesse Etudiante Catholique) représente la première tentative de rassemblement de toute la jeunesse scolaire et étudiante. Elle se présentera aux yeux de la société et dans l’Eglise, comme une des forces qui va contribuer à susciter un nouveau type de christianisme qui n’a pas peur de « son siècle » et qui entend même apporter sa contribution à un nouveau type de civilisation. Mais la J.E.C a besoin de l’A.C.J.F (Association Catholique de la Jeunesse Française) et de la J.O.C ( Jeunesse Ouvrière Catholique) pour se comprendre.
 
1)         Le rôle de l’A.C.J.F.
 
Depuis sa naissance, la J.E.C s’est beaucoup appuyée sur les réflexions de l’A.C.J.F. Celle-ci a été fondée par Albert De Mun en 1886. L’A.C.J.F possède les premiers linéaments de l’Action Catholique spécialisée. Elle se révèle comme la plus importante des organisations de jeunesse en France à l’époque. A l’origine, elle entend orienter la jeunesse catholique vers l’instauration d’un « ordre social chrétien ». Influencée par l’encyclique Rerum Novarum (1891) de Léon XIII, elle cherche à transformer les milieux de vie et les institutions par une action concrète inspirée par la soif chrétienne de justice et d’amour pour tous. A ses militants, c’est-à-dire aux jeunes chrétiens, elle veut donner une formation qui leur permette de prendre des responsabilités dans la cité. Epousant la complexité de la réalité sociale, elle devient entre 1935 et 1936, une association des mouvements spécialisés. Elle favorisera la mise en place de la J.E.C. La J.E.C se considérera toujours comme une section de l’A.C.J.F jusqu’au déclin de celle-ci en 1956, déclin provoqué par une crise née de ses options temporelles et de son anticléricalisme. La J.E.C en souffrira, mais la J.O.C, qui s’était formée pratiquement en dehors de l’A.C.J.F se présentera comme une référence pour la J.E.C.
 
2)         La J.O.C : une référence pour la J.E.C.
 
La J.O.C est un « centre de référence obligatoire »6 pour la J.E.C. Créée en 1924, la J.O.C est l’œuvre d’un prêtre belge du nom de Joseph Cardijn. C’est en 1927 que le mouvement s’implante en France grâce à l’Abbé Georges Guérin. La création de la J.O.C résultait du besoin pour l’Eglise, d’honorer un projet apostolique renouvelé, destiné à associer des laïcs à l’apostolat des clercs. Cardijn définit la J.O.C comme « un mouvement de jeunes travailleurs et de jeunes travailleuses, qui entre eux, pour eux, dans et par tous les actes de leur vie journalière, se forment, se soutiennent, s’entraident, s’aiment et se préparent ensemble à leur avenir ».7
 
A l’origine, la visée jociste est la reconquête chrétienne du milieu de vie à travers le moyen de l’apostolat du milieu par le milieu. La méthode est centrée sur la prise en charge aussi complète que possible du milieu, grâce à l’enquête ponctuelle selon la célèbre trilogie « Voir, Juger, Agir ». C’est au contact de la J.O.C que va naître la J.E.C. Disons que dès le départ, la J.E.C se définit par rapport à la J.O.C., c’est-à-dire par rapport à un type de mouvement, mais surtout elle affirme avoir le même idéal : l’avènement d’une civilisation chrétienne où la charité transfigurera toutes les choses humaines. Certains ont dit que la J.E.C était une « copie » de la J.O.C., pour d’autres, la J.E.C est la sœur de la J.O.C. Quoi qu’il en soit les similitudes sont claires : la méthode et l’idéal sont les mêmes. Mais la J.O.C restera plus soumise à l’apostolat hiérarchique, tandis que la JEC sera contestataire.
 
3)         La formation du courant jéciste.
 
            La J.E.C, comme tous les autres mouvements tels que la J.O.C la J.A.C, n’est pas née d’une décision de la hiérarchie catholique. Evoquer les origines de la J.E.C, analyser le « pourquoi » de cette création, c’est d’abord cerner les contours de ce que l’on peut appeler le « courant jéciste ». Ce qui est important à souligner c’est qu’à la fin des années vingt, l’aspiration des jeunes était pratiquement la même : une insatisfaction vis-à-vis de l’Eglise, et le sentiment qu’elle ne répond pas aux défis du temps. Une Eglise très marquée par son conservatisme. Un même scepticisme sur les possibilités d’une action efficace dans la vie de la cité ou la vie politique. Nous avons à faire à une « nouvelle génération » ; la génération de l’après guerre ( 1914-1918) qui parvient à l’âge étudiant.
 
Cette nouvelle génération est d’abord marquée par ce que l’historien Henri Marrou appelle le « trou des générations », c’est-à-dire que la plupart des adultes de 40 ans étaient morts à la guerre de 1914-1918. Durant leur période de formation tant intellectuelle que religieuse les jeunes qui ont entre 20 et 25 ans en 1929 ont été le plus souvent en contact avec des professeurs ou des prêtres très vieux qui sont incapables de répondre à leur questionnement.   C’est une génération sans maîtres. Les forces politiques en place et l’Eglise elle-même n’arrivent pas à répondre aux questions qui se posent.
 
 C’est dans ce contexte historique que le courant jéciste se forme. Les uns disent que la J.E.C est née en 1929. Pour les autres, c’est 1930. On peut même dire qu’elle existait déjà en Belgique depuis 1928. En France, c’est surtout Louis Chaudron et Paul Vignaux qui sont les véritables initiateurs de la J.E.C.. En 1929, ils sont étudiants à l’Ecole Normale de Paris. Sensibilisés à la notion d’apostolat du milieu par le milieu (cette formule indique le caractère communautaire de la recherche faite par les jeunes en Action catholique. Il s’agit d’étudier ensemble les problèmes du milieu, de rechercher ensemble les solutions, et de réaliser ensemble les objectifs fixés par le Mouvement), sur fond de leur expérience commune et de leurs réflexions, ils posent les jalons de la J.E.C. en juillet 1929. Ils font paraître une brochure intitulée : « La J.E.C esquisse d’un programme général ».8 Il s’agit, pour la première fois, de poser, dans toute leur ampleur, avec la possibilité de rayonnement maximum, tous les problèmes de la vie écolière et étudiante. Il s’agit de faire pénétrer dans toute l’adolescence des écoles un esprit vraiment nouveau et de contribuer à l’avènement d’une civilisation chrétienne où la charité transformera toutes les choses. Mais nous devons être à mesure de montrer maintenant les courants de pensée qui ont favorisé et influencé le développement de la J.E.C.
 
III. La JEC : des penseurs et des courants de pensée nourriciers.
 
            L’objectif principal de notre travail est de faire voir en quelques pages les courants de pensée et les personnages, disons les penseurs, qui ont influencé le mouvement J.E.C. Il est évident qu’aujourd’hui les jeunes sont moins portés à réfléchir. Ils vivent entre le «de plus en plus » et le « de moins en moins » : de plus en plus de besoins, de désirs; mais de moins en moins de capacité pour chercher et trouver le chemin qui est le leur. Nous n’hésitons donc pas à leur proposer le chemin d’une action qui passe par la réflexion.
 
A) L’émergence de la notion d’action au service de la foi.
 
1)         L’essor de la technique.
 
L’essor prodigieux de la technique et de la science dans le monde moderne a crée au XIX° et au XX° siècles une rupture entre la vie et la religion. Cette rupture s’est manifestée de deux manières : d’une part, les progrès techniques ont plongé l’homme dans la vie matérielle et l’ont conduit à abandonner la vie spirituelle et à oublier Dieu. D’autre part, ces mêmes progrès ont favorisé le développement du capitalisme libéral en créant la classe prolétarienne. Le catholicisme se sent interpellé par cette situation. L’Eglise se rend compte qu’elle perd la classe ouvrière. Or, elle cherche à rendre le Christ et son message présents à toute la vie humaine. Elle entreprend alors de consacrer la mission du laïcat au service d’une civilisation nouvelle qui passe par l’action. Il s’agit de résoudre le problème de la présence de l’Eglise au monde moderne et à ses structures.
 
La pédagogie de l’action va s’offrir à l’Eglise comme le meilleur instrument de médiation au service d’une culture intégrale et d’un engagement lucide. Au « politique d’abord » de Maurras, les jeunes répondent : « le Christianisme dans toute la vie ». Ils préfèrent s’intéresser aux questions économiques et sociales. Ils sont préoccupés d’une « culture chrétienne » qui soit à la hauteur de ce à quoi ils réfléchissent au lycée ou en faculté, alors qu’on ne leur propose qu’un « catéchisme supérieur ». La pédagogie de l’action se révèle à eux comme une réflexion à partir de l’expérience en vue d’un engagement précis, capable d’exercer une influence profonde sur les structures. Il s’agit très précisément de travailler à provoquer et à soutenir la coopération de l’homme à l’œuvre du salut. L’entreprise même d’un apôtre comme Cardijn correspond très exactement à l’idée de sauver l’humain par l’action à l’intérieur de l’Eglise.
 
2)         La provocation du marxisme au XIX ° et au XX° siècles.
 
La philosophie matérialiste, notamment celle de Karl Marx ( 1818-1883) et de Engels (1820-1895), s’inscrit dans le contexte du mouvement ouvrier. Face à la situation inacceptable dans laquelle le capitalisme libéral avait plongé la classe ouvrière, le marxisme s’érige en défenseur de la classe prolétarienne. Il entreprend d’opérer la transformation du monde et de l’humanité par l’action. Il juge que le premier devoir de l’homme est de changer le monde tel qu’il va. Marx écrit que « les hommes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, mais (qu’)il s’agit de le transformer »9.
 
La problématique marxiste va donc provoquer les chrétiens à découvrir le double caractère indissociable et dialectique – de leur foi – comme vérité et comme pratique vécue. C’est ce qu’écrit René Coste :
 
« indirectement, le marxisme provoque le chrétien à prendre conscience non seulement des richesses spirituelles du catholicisme et de sa pédagogie, mais encore de certaines valeurs traditionnelles de la pensée chrétienne, en particulier le sens de la matière et l’importance des conditions matérielles pour l’épanouissement intégral de l’homme ».10
 
En raison de son matérialisme, le marxisme a rappelé assez vertement le christianisme à sa dimension d’incarnation historique et communautaire. Les jeunes qui s’engagent dans les mouvements resteront très sensibles à ce fait. Le chrétien est alors poussé à l’action. Celle-ci semble répondre pleinement à l’évangélisation du monde ouvrier et même applicable, comme pédagogie, aux différentes structures de l’existence. Bien sûr, le marxisme reste à nos yeux, une philosophie totalitaire qui fait de toute activité spirituelle un reflet des circonstances économiques, négligeant ou niant même les mystères de l’homme. Cela dit, même si c’est de façon partielle et partiale, il a éclairé pour une époque donnée, l’histoire et l’action de l’homme.
 
On peut alors comprendre pourquoi, chrétien et philosophe, Emmanuel Mounier reconnaissait volontiers que le marxisme avait eu pour lui une grande force de provocation. En effet Mounier a cherché à dialoguer avec le marxisme, et dialoguer pour lui signifiait se remettre en question pour progresser au contact de l’autre. Cela explique aussi pourquoi une grande partie des analyses du personnalisme sur le dialogue va devenir le lieu commun de toute l’Eglise. Dialogue avec chaque homme et avec tous les hommes. Des théologiens comme Congar et Chenu vont poursuivre les intuitions personnalistes en se les réappropriant. Mais voyons d’abord ce qu’a été le rôle de ce que l’on a appelé le catholicisme social.
 
3)         L’effort du catholicisme social.
 
            Le catholicisme social n’a pas été une réalité homogène et monolithique. Il englobe de nombreux mouvements et en son sein, il y a eu toujours plusieurs écoles coexistantes. Ce qu’il est important de retenir, c’est que le mouvement catholique social prend sa source, d’une part, dans les milieux conservateurs, vers 1815 et d’autres part chez les hommes d’inclination démocratique influencé par la pensée de Fourrier. Dans les années 1870 et ensuite en 1890, le catholicisme social d’inspiration libérale va participer à la consolidation de la démocratie chrétienne. En France, ce courant va inciter les catholiques à l’action sociale au sein de la République. Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’une partie des élites chrétiennes en France a pris conscience de la misère que provoquent les bouleversements sociaux de l’époque et que cela va pousser à l’engagement. Les chrétiens s’autorisent alors la responsabilité de travailler à la réforme de la société. La source de leur engagement se trouve dans Rerum Novarum (1891), l’encyclique de Léon XIII. Comme l’écrit Etienne Fouilloux, cette nouvelle « doctrine sociale » qu’est l’encyclique du pape, « récuse et le libéralisme et son fils rebelle le socialisme pour proposer sur le fondement de la thèse thomiste du « bien commun », une solution proprement catholique, intégrale et intransigeante, aux maux de l’humanité. »11
 
Il s’agit donc pour les chrétiens de conquérir ou de reconquérir par l’action, des milieux considérés comme déchristianisés. La méthode sera centrée sur l’apostolat du semblable par le semblable. L’action d’un mouvement comme la J.E.C, s’inscrit dans cet effort général du catholicisme social qui, mettant l’accent sur le lien entre le naturel et le surnaturel, entre le spirituel et le temporel, essaie par l’action d’organiser l’ordre humain. Entre 1930 et 1940, la vigueur du mouvement personnaliste de Mounier va agir comme par endosmose sur le catholicisme social et pousser celui-ci à soumettre la vie économique, sociale et politique aux impératifs de la morale tout en accueillant et en tenant compte des événements de la vie.
 
B) Philosophie et théologie au service de l’action catholique.
 
1)         La pensée et l’action chez Maurice Blondel.
 
L’influence de la réflexion philosophique sur l’action catholique se fera surtout avec Maurice Blondel (1861-1949). Sa philosophie est communément appelée « philosophie de l’action ». De fait, sa thèse, soutenue en 1893, s’intitulait précisément « l’Action. Une pensée et une philosophie de l’action ». C’est une philosophie qui se veut concrète, prenant l’existence humaine et ses valeurs comme centre d’intérêt. Chez Blondel, la philosophie est un acte second ; elle s’efforce de réfléchir le vécu ; C’est « une critique de la vie », « une science de la pratique », comme l’indique le sous titre de la thèse de 1893. Le philosophe comme tout homme, n’est pas dispensé de vivre, d’affronter les contingences et les aléas de l’aventure humaine. Mais il doit en même temps se détacher, se distancier, conquérir une indépendance qui lui permette de comprendre la multiplicité des points de vue, la diversité irréductible du concret.
 
Pour Blondel, la pensée est partie intégrante de l’action et l’action n’est pas seulement un fait, c’est une nécessité. Une pensée vraie doit être une pensée en acte. La pensée est acte, elle est même l’activité la plus haute. Blondel invite le monde contemporain dans cette perspective à la non-séparation entre ce qui est à penser et qui est à faire. Pour lui ; on n’arrive à la foi que par l’intermédiaire de l’action. « En tout acte, il y a un acte de foi »,12 écrit-il, et « la substance de l’homme, c’est l’action, il est ce qu’il se fait ».13 Les réflexions de Blondel ont été fortement marquées par la tradition chrétienne. Ses maîtres spirituels ont été : saint Ignace, saint Bernard et saint Augustin.
 
Ainsi, bien avant que le pape Pie XI ait convié les catholiques militants à se regrouper pour lire, dans l’Evangile et dans la vie, « les leçons du sauveur », et pour que la pratique soit véritable prédication, Blondel avait déjà dégagé les principes philosophiques dont se sont nourri, souvent inconsciemment, les mouvements d’action catholique. La méthode de Blondel va influencer d’autres penseurs, philosophes et théologiens, prometteurs immédiats de l’Action catholique.
 
2)         Les « théologiens en veston » et la pédagogie de l’action.
 
            Parmi les contemporains de Blondel, on peut retenir les noms de Maritain, Marcel et Mounier ; ce sont les trois « M », philosophes et chrétiens engagés, qui dans leurs réflexions ont cherché à lier la pensée et l’action.
 
            Jacques Maritain (1882-1973) élabore des distinctions entre l’action menée « en chrétien » et celle conduite « en tant que chrétien. » Maritain est très marqué par la pensée de st Thomas d’Aquin. Il pense que l’homme est doué d’intelligence et de volonté libre. Grâce à ses facultés, il peut poser des actes libres et responsables. La contemplation authentique débouche sur l’action efficace. Contemplation et action, science et technique, théorie et pratique, loin de s’opposer s’appellent mutuellement.
 
            Le militantisme catholique manifeste un intérêt pour l’existentialisme chrétien de Gabriel Marcel (1889-1973). C’est dans le sillage de cet existentialisme chrétien que sera progressivement élaborée la définition de la notion d’engagement. En 1919 Gabriel Marcel écrit dans son Journal : « Il me semble que vouloir c’est en somme s’engager, j’entends par-là engager ou jouer sa propre réalité : c’est se mettre dans ce qu’on veut. »14 L’engagement, selon G. Marcel, est la manifestation d’une fidélité à soi-même : c’est l’acte volontaire et effectif par lequel la personne se définit et se choisit, selon une démarche qui comporte d’ailleurs une part de risque et d’inconnu (« jouer sa propre réalité »). Cette démarche de réalisation, de soi débouche nécessairement sur l’action et la participation à la vie collective, puisque c’est sur le théâtre des questions sociales, politiques, intellectuelles ou même religieuses que peut se manifester le sens du choix posé : l’autre étant toujours le témoin de l’engagement pris et il en certifie en quelque sorte l’authenticité.
 
            Emmanuel Mounier (1905-1950) insiste sur un christianisme d’incarnation et d’engagement. La pensée de Mounier se veut être précisément une « pensée-action » et non pas seulement une pensée de l’action. L’action est l’opération par laquelle l’homme se rend présent au monde et par laquelle il « se fait ».15 Pour Mounier ; en dehors de cette opération de présence, la personne perd toute signification et toute consistance. Il le souligne très fortement dans les mots suivants :
 
« que l’existence soit action et l’existence la plus parfaite, action plus parfaite mais action encore, c’est l’une des intuitions maîtresses de la pensée contemporaine. Si certains répugnent à introduire l’action dans la pensée et dans la plus haute vie spirituelle, c’est qu’ils en donnent implicitement une notion étriquée, la réduisant à l’impulsion vitale, à l’utilité (…) mais il faut l’entendre dans son sens le plus compréhensif (…). Elle désignera l’expérience spirituelle la plus intégrale.»16
            Pour Mounier, Marcel et Maritain, l’engagement est le point où se rencontrent et se nouent l’individuel et le collectif, où la personne traduit en actes et pour les autres le choix qu’elle a fait pour elle-même. Ils font voir que s’engager relève d’une décision d’ordre moral, par laquelle l’individu ou la personne entend mettre en accord son action pratique et ses convictions intimes, avec les risques que cela comporte. Si on leur a donné le nom de « théologiens en veston », c’est parce qu’en tant que laïcs catholiques, ils intervenaient sans complaisance dans les débats de leur temps et de leur Eglise. Ils cherchaient à réconcilier, avec justesse, culture religieuse et culture profane. De cette façon, ils vont contribuer à inspirer l’action d’un certain nombre de mouvements sociaux d’origine chrétienne, notamment la confédération Française des travailleurs Chrétiens (C.F.T.C.). Le contact de ces philosophes avec le monde des théologiens de l’époque, va créer une « nouvelle théologie » favorable au rayonnement des mouvements d’Action catholique.
 
3)         La pratique théologique dans le contexte culturel et ecclésial des années 1930.
 
Dans le climat post-moderniste des années 30, la théologie cherchait à discerner dans l’expérience humaine, individuelle ou collective, les « signes des temps ». Il s’agissait pour elle, d’être présente à son temps pour repenser le message chrétien à partir de ses sources en vue de son insertion dans le mode contemporain. M.D Chenu (1895-1973), H. De Lubac (1896-1971), et Y.Congar sont entre autres les représentants de cette théologie qui se veut nouvelle par rapport à celle traditionnelle et classique qui refusait le lien entre le naturel et le surnaturel. La composante interne de la pratique théologique de ces « nouveaux théologiens », comme on les appellera, était centrée sur la notion de la « présence à son temps » ; M. D Chenu expliquait cette notion en ces termes : « être présent à son temps (…) théologiquement parlant, c’est être présent au donné révélé de la vie présente de l’Eglise et l’expérience actuelle de la chrétienté ».17
 
Dans le concret, cela se manifeste par leur contact avec la culture ambiante et l’attention qu’ils portent aux sollicitations apostoliques les plus diverses du moment. « La Bible d’une main, le journal de l’autre » selon la célèbre boutade de Karl Barthes signifiant l’engagement qui était le leur dans l’Eglise et dans la société.
En général, leurs réflexions cherchaient à donne
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